Page 2 - Le Gratuit - N l3308 - Côté Brousse 2022 GROS PLAN Ils éteignent des incendies sans une goutte d’eau Àpremière vue, ce sont des pompiers comme les autres. Des chaussures de protection, d’épais gants en cuir, une veste et un pantalon de protection ignifugés, une cagoule, un casque. Seulement, un détail interpelle : accroché au veston, un petit objet inhabituel. « Vous avez tous votre briquet sur vous, personne ne l’a oublié ? », s’enquiert un des membres du groupe. Nous sommes au pied du pic de Ouitchambo (Boulouparis), dans une sublime vallée souvent balayée par les incendies même si depuis deux ans, le Caillou est relativement épargné par les feux de forêts d’ampleur, en raison d’un épisode La Niña qui apporte de la pluie et de l’humidité. Mais les pompiers le savent : face au dérèglement climatique, les incendies gagnent en intensité, en durée et en fréquence, au risque parfois de devenir incontrôlables. Et la Calédonie n’a aucune raison d’échapper à cette nouvelle donne. C’est pourquoi seize sapeurs-pompiers du pays ont été formés pendant une semaine à Boulouparis par la direction de la Sécurité civile et de la gestion des risques (DSCGR) à une technique ancestrale mais qui pourrait devenir incontournable dans la lutte contre les incendies : les feux tactiques. En d’autres termes, les pompiers combattent OHV ÁDPPHV SDU OHV ÁDPPHV sans utiliser la moindre goutte d’eau. Des pompiers… brûleurs Le principe est simple : il s’agit de brûler volontairement de la végétation pour créer une sorte de barrière naturelle contre un incendie qui, lorsqu’il arrivera sur la zone, ne pourra pas continuer faute de combustible, et qu’ainsi, il s’éteigne naturellement. La technique peut se faire soit préventivement en créant une sorte de pare-feu – on appelle cela le brûlage dirigé –, soit lorsque l’incendie s’est déjà déclaré et qu’il faut rapidement endiguer sa propagation – on appelle cela du contre-feu. Dans la vallée de Ouitchambo, les pompiers sont particulièrement concentrés et ne perdent rien des explications du capitaine Olivier Cyprien. Le chef du bureau « opération » à la Sécurité civile mobilise les équipes sur le brûlage dirigé. Le secteur « est une zone de couloir à feux où les incendies passent régulièrement. Le brûlage doit être utile. Ici, il y a les montagnes, la tribu, des zones de captage. En même temps qu’on forme du personnel, on a créé un pare-feu en prévision de la future saison des feux de forêt. » © ,O IDXW rWUH FDSDEOH GH VDFULÀHU 10, 15 ou 20 hectares pour en sauver des centaines. » À trois ou quatre, les pompiers s’activent sur le terrain : l’un tient dans sa main une « torche forestière », un autre porte sur son dos un seau-pompe pour maîtriser et ne pas se laisser déborder par le feu tandis qu’un autre supervise l’opération, un râteau à la main. En une vingtaine de minutes, les pompiers ont formé une large bande de végétation calcinée. Une sorte de « barrière » censée empêcher la progression d’un éventuel incendie. Si la technique paraît assez simple, elle nécessite en réalité une excellente connaissance du feu. Il faut analyser le terrain et prendre en compte de nombreux éléments : les conditions météo, la vitesse et la direction du vent ou encore l’état de la végétation. Les « pompiersbrûleurs » doivent connaître les couloirs à feux, les lignes de crête et les vents dominants qui peuvent accélérer le sinistre. Les nerfs mis à rude épreuve « Les feux tactiques sont utilisés de manière ancestrale, encore plus dans la culture mélanésienne, observe Olivier Cyprien. Nous ne faisons que les adapter à nos connaissances dans un cadre réglementaire pour éviter les accidents et rWUH HIÀFDFHV ª /D PDWLQpH éreintante pour les pompiers en formation, se clôt par un exercice encore plus délicat : l’instructeur provoque un incendie à une centaine de mètres. En quelques secondes, les ÁDPPHV GpYRUHQW OD SDLOOH sèche. Aussitôt, branle-bas de combat du côté des pompiers qui font face à un brasier. Ils doivent créer un contre-feu dans l’axe de propagation de l’incendie, de sorte qu’à la rencontre des deux foyers, l’incendie et le contre-feu s’éteignent, faute de combustible. L’opération est délicate et met à rude épreuve les nerfs des pompiers, qui doivent anticiper. Ce sera une réussite. « Il faut être capable de VDFULÀHU KHFWDUHV pour en sauver des centaines, voire des milliers », reconnaît Olivier Cyprien, qui suit les mouvements des pompiers sur une tablette qui retransmet HQ GLUHFW OHV LPDJHV ÀOPpHV par un drone. Le capitaine insiste, les feux tactiques « sont parfaitement adaptés à la Calédonie car ils permettent de couvrir des surfaces relativement importantes, sur des zones GLIÀFLOHPHQW DFFHVVLEOHV HW R l’on dispose de très peu de moyens terrestres ou aériens ». Avant que la saison des feux de forêts ne commence, à la mi-septembre, les pompiers déploieront un pare-feu à la pointe Maä, à Païta. « Avec le recul, on se dit que certains mégafeux comme celui du Mont-Dore en 2019 auraient pu, non pas être évités, mais être moins catastrophiques si l’on avait utilisé ces nouvelles techniques », conclut Olivier Cyprien. Jean-Alexis Gallien-Lamarche La technique est ancestrale et, pourtant, elle pourrait être révolutionnaire pour les sapeurs-pompiers du pays. Seize professionnels ont été formés à Boulouparis à combattre le feu… par le feu. Reportage. « Avec le recul, on se dit que certains mégafeux auraient pu, non pas être évités, mais être moins catastrophiques si on avait utilisé ces nouvelles techniques », estime Olivier Cyprien. Photo J.-A.G.-L.
RkJQdWJsaXNoZXIy MjE1NDI=