Le Gratuit Nord 719

Page 6 - Le Gratuit Nord - Nl719 - Du 20 au 26 mai 2022 Yves Mermoud, président de l’association Témoignage d’un passé. Où retrouve-t-on des Kanak dans l’histoire du bagne ? Ils sont d’abord au bagne à l’île Nou où il y avait des Kanak, non condamnés, qui travaillaient. Ils étaient policiers indigènes, agents civils, matons ou encore sur les chantiers de Nouméa et d’ailleurs. Il y a aussi des Kanak qui ont été condamnés aux travaux forcés, il y en a eu 115 à l’île Nou. Et après la révolte de 1878, il y a eu des déportés politiques kanak à Tahiti, aux Marquises ou encore en Indochine. Quels liens avec aujourd’hui ? Ce qu’on commence à découvrir, c’est que les Kanak ont aussi une histoire liée au bagne à travers les unions. Des anciens condamnés qui nouaient des liens avec des femmes kanak. Leurs enfants sont la première vague de métissage de la Calédonie. Certains sont restés côté européen, leurs descendants sont connus. Ce qui est moins connu, c’est le cas d’enfants issus de ces unions qui sont restés dans le monde traditionnel kanak. Il y a deux exemples dans l’exposition mais l’objectif est de susciter des prises de parole. C’est pour cela que Emmanuel Tjibaou signe deux panneaux de l’exposition, pour lancer la collecte orale en milieu tribal. Combien y aurait-il de descendants kanak d’anciens bagnards ? On n’a pas encore de chiffres précis mais on sait qu’il y a beaucoup de descendants kanak issus de ces métissages. Eux savent, grâce à la tradition orale, qu’ils ont un passé un peu différent des autres familles ou des autres clans mais c’est tabou, on commence à peine à en parler. C’était dérangeant, et ça l’est toujours parfois du côté européen, c’est la même chose du côté kanak. Pourtant, régulièrement, des Kanak viennent nous voir à l’association avec un dossier sous le bras en disant « c’est notre histoire à nous aussi ». Ça fait deux ans que j’ai envie de creuser cette partie de l’histoire du bagne enfouie dans le monde kanak car je pense que ça peut rapprocher les gens. Quelle est l’ambition politique de ce travail ? Au niveau politique, c’est très important, alors qu’on cherche à rapprocher les communautés, que cette histoire du bagne, qui a toujours été cachée, taboue, négative, se transforme en une histoire assumée et partagée qui participe au rapprochement des communautés et va vers l’idée de destin commun. On a contacté Louis Mapou suite à sa déclaration de politique générale dans laquelle il assurait que le 17e gouvernement voulait « accompagner le processus d’appropriation historique et identitaire engagé en valorisant la contribution de toutes les communautés à l’histoire, à l’identité et à la culture, pour conforter le poteau central de la Nouvelle-Calédonie » et on a proposé l’exposition qui devient aujourd’hui la première pierre de la construction d’une démarche d’inscription au patrimoine mondial de l’Unesco. Avec quels arguments pour le dossier de l’Unesco ? Pour l’Unesco, il faut présenter une valeur universelle exceptionnelle. La nôtre, c’est de dire que s’il n’y avait pas eu le bagne, il n’y aurait pas eu le début des mines, pas eu les grands travaux, pas eu l’arrivée des travailleurs asiatiques ni wallisiens bref, que le bagne est au départ des différentes communautés de la Nouvelle-Calédonie : c’est notre valeur universelle exceptionnelle. Quelles sont les prochaines étapes ? C’est le gouvernement qui demande l’inscription mais après c’est une démarche qui peut durer quinze ans. Là on va commencer à faire, dans chaque commune, la liste du patrimoine matériel et immatériel du bagne. C’est une nouvelle étape dans notre volonté de faire connaître le bagne calédonien, de montrer que ce n’est pas que l’histoire des Blancs. C’est l’histoire de toute la Calédonie et je pense que c’est le grand changement. L’histoire du bagne est aujourd’hui un vecteur de rapprochement des communautés. Sarah Maquet Le bagne, « racine du destin commun » Yves Mermoud espère une libération de la parole. ZOOM

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