Le Gratuit Nord 676

Inscrire le bagne calé- donien au patrimoine mondial de l’Unesco : d’où vient l’idée ? En 1997, l’Unesco a débuté un programme spécifique- ment axé sur l’inscription de sites du Pacifique sur la liste du Patrimoine mondial. En effet, notre région reste la partie du monde la moins bien représentée sur cette liste. Chaque pays a été in- cité à proposer des sites po- tentiels pour un classement. (Q 1RXYHOOH &DO«GRQLH Rɝ - cieusement, nous avons été quelques-uns à imaginer une liste, dans laquelle apparais- sait le bagne. Mais c’est le cl- assement du bagne australien en 2010 qui a véritablement popularisé l’idée d’une inscrip- tion, ici mais également en Guyane, faisant émerger le souhait d’un projet à mener ensemble. Quels éléments, bâti- ments, ou autres, pour- raient faire l’objet d’un projet d’inscription ? Aucune collectivité calédo- nienne n’a pour le moment réalisé un inventaire complet des sites et monuments liés au bagne à travers l’archipel. Tout le monde connaît les ru- ines de l’île des Pins, les con- structions de l’île Nou, le Fort Teremba. Mais en complé- ment de ces icônes, des ves- tiges du bagne sont présents un peu partout, et en partic- ulier sur la côte Ouest de la Grande Terre, souvent sur des propriétés privées et parfois sur terres coutumières. Le patrimoine du bagne, ce n’est pas seulement les prisons, mais c’est aussi les routes, les ponts, les bâti- ments des concessions, les maisons d’anciens bagnards dans les villages, les construc- tions religieuses, les internats pour enfants de bagnards, les anciennes mines, les fours à pain, les objets du bagne, etc. Il n’est donc pas possible, à ce stade, de vraiment individu- aliser des sites particuliers à inclure dans une proposition de classement. Qu’est-ce qui permet de justifier l’inscription de sites dans la catégorie prestigieuse du “Patri- moine mondial” ? Pour soumettre un dos- sier à l’Unesco, il faut avoir pu démontrer que le bien proposé a une “valeur uni- verselle exceptionnelle (VUE)” ou, pour le dire autrement, que le bien est unique au monde. Pour cela, il faut ra- FRQWHU XQH ȊKLVWRLUHȋ MXVWLȴDQW la demande de classement. En conséquence, dans le cas du bagne calédonien comme de tout autre dossier, le choix ȴQDO GHV VLWHV G«SHQGUD GX récit construit pour le dossier. Je suis convaincu que, pour réussir, notre “ histoire ” devra être inclusive, c’est-à-dire qu’elle devra faire ressortir combien le bagne calédonien est la racine imposée et part- agée de notre “ communauté de destin ”. Le bagne dans ce pays, ce n’est pas qu’une “ his- toire de Blancs ”. C’est aussi l’histoire des Kanak, l’histoire des colons libres, l’histoire des Asiatiques venus dans le cad- re des contrats de main-d’œu- vre. Pour moi, elle est là, notre “ valeur universelle exception- nelle ”. Quel facteur amènerait à bâtir un dossier en vue d’une inscription Unes- co ? Quitte à étonner, je dirai qu’un classement à l’Unesco, c’est avant tout un acte poli- tique. C’est un “ État partie ” de l’Onu qui dépose un dossier de candidature. C’est donc beaucoup de lobbying dans les ministères, à l’internation- al, mais aussi de recherches GH ȴQDQFHPHQW HW GH FRRUGL - nation. En conséquence, pour le dossier du bagne, tant qu’il n’y aura pas quelques élus et élues calédoniens qui s’engag- eront fermement à être les porteurs politiques du projet, rien ne pourra véritablement avancer. ΖO VXɝW GH YRLU FRPPHQW OȇHQ - gagement des responsables politiques du pays a été la clé de la réussite de l’inscription du récif calédonien, pour se faire une idée de l’importance d’un portage institutionnel sans faille. La réalisation de l’inventaire, la constitution d’un dossier répondant aux obligations du Patrimoine mondial, le choix des sites, sont des aspects techniques qui demandent simplement de la coordina- tion et le recrutement de SHUVRQQHOV TXDOLȴ«V DYHF OHV moyens de travailler. Mais sans le “ déclic ” du portage politique localement, il n’est pas utile de commencer. Ce patrimoine du bagne calédonien est-il au- jourd’hui suffisamment protégé ? Depuis trente ans, la protec- tion du patrimoine est une compétence dévolue aux provinces. Chaque province a développé une politique pat- ULPRQLDOH GL΍«UHQWH DYHF GHV opérations de conservation et de restauration de quelques sites phares. Mais, faute de moyens et de recrutement de personnel qualifié, ces programmes ne se sont pas vraiment faits suivant des normes internationales modernes. L’absence d’une politique d’acquisition de cer- tains sites situés sur des pro- priétés privées a également entraîné une détérioration ou la destruction pure et simple de vestiges de grande impor- tance, faute de textes législa- tifs robustes. Pour toute personne travail- lant à un niveau internation- al, ces textes mis en place au moment de la provincialisa- tion, au début des années 1990 et retravaillés au cours des années 2000, sont loin d’être compatibles avec un classement au Patrimoine mondial. Pourtant, cet élé- ment juridique est une des pierres angulaires majeures de toute validation d’un dos- sier Unesco. Dans le cadre de la préparation du dossier du bagne calédonien, il sera donc indispensable de refon- dre totalement nos textes de SURWHFWLRQ DȴQ GH OHV DOLJQHU sur des standards modernes tout en y intégrant nos spéc- LȴFLW«V ORFDOHV HQ SDUWLFXOLHU au niveau foncier. Comment jugez-vous l’état du bagne calé- donien comparé aux vestiges de Guyane ou d’Australie ? Historiquement, le bagne calédonien a commencé alors que le bagne australien s’achevait. En conséquence, la Grande Terre dispose de bien plus de bâtiments encore en bon état de conservation que notre voisin. Certains de ces bâtiments sont encore “ dans leur jus ”, mais se détériorent rapidement, quand ils n’ont pas été maladroi tement restaurés, ce qui leur a fait perdre leur authenticité. Le deuxième atout de la Calédonie est d’avoir été une terre de colonisation, contrairement à la Guyane. Les mises sur concession des bagnards, la création de vil- lages d’intérieur, le dévelop- pement de mines grâce aux terribles “ contrats de chair humaine ”, le métissage, sont tous des aspects du bagne qui n’existent pas ailleurs. Notre troisième atout est que les recherches historiques et archéologiques menées au cours des dernières décen- nies sur ce sujet, permettent aujourd’hui d’avoir un cadre scientifique de départ ro- buste, bien que toujours à compléter. Le dossier du bagne calédo- nien devra inclure toutes ces VS«FLȴFLW«V GRQF WRXWHV OHV communautés du pays, avec une place importante pour les Kanak, alors que le dos- sier australien cite à peine les Aborigènes. Ainsi, même si certains sites de Guyane sont en meilleur état que ceux de Calédonie car ils ont fonctionné jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, nous avons GHV DWRXWV IRUWV SRXU MXVWLȴHU notre “ valeur universelle ex- ceptionnelle ”. Lors d’une conférence jeudi 8 juillet à Nouville, Christophe Sand a posé une idée au milieu de la place : inscrire le bagne calédonien sur la liste du Patrimoine mondial de l’Unesco. Le chemin est long, mais le pays dispose d’atouts, selon l’archéologue. ENTRETIEN AVEC Christophe Sand, archéologue ZOOM Propos recueillis par Yann Mainguet © Thierry Perron Page 4 - Le Gratuit Nord - N l 676 - Du 16 au 22 juillet 2021

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