Le Gratuit Nord 673

Les auteurs et les éditeurs calédoniens et de Polynésie sont prolifiques, riches de mots et d’histoires. Voici une petite sélection d’ouvrages récents à se mettre sous la dent. Nouvelles, romans, poèmes, qui se déroulent ici ou ailleurs. Un voyage sentimental Volim te Serbia, de Corine David, chez Jets d’Encre La poétesse calédoni- enne Corine David fait paraître un cinquième recueil original avec Volim te Serbia (Serbie je t’aime en français). (OOH OȇD «FULW DX ȴO GȇXQ séjour dans ce pays des Balkans avec son com- pagnon serbe, dans son style distinctif, en vers blancs, à la musicalité particulière, qui respire l’émotion, la sincérité et la vérité de l’instant. Soucieuse de faire part- ager son ressenti d’un pays qu’elle découvre et qui l’enchante, « au-delà des préjugés médiatiques »’, la poétesse y parvient dans ses évocations de la nature et des sensations qui l’envahissent au gré du voyage dans une contrée à laquelle elle se sent d’emblée comme prédestinée. Elle en traduit avec un talent plein de sensualité les couleurs, les saveurs et les parfums. On est touché par sa vision humble et sensible de l’histoire dou- loureuse de ce pays, même si un ou deux poèmes à résonance nationaliste emballent moins. Mais l’essentiel est dans l’approche vivante et moderne de la poésie qu’adopte la Calédonienne. Simples, directs, porteurs de sensations authentiques, ces vers démontrent, à l’heure d’Internet, qu’un bouquet de poèmes vaut tous les blogs de voyage. Les mois de chez nous Le temps passe, l’igname pousse de Julie Dupré chez Plume de notou Pour les parents de jeunes enfants, on sait comme il est difficile de trouver des contes et albums jeunesse qui résonnent avec no- tre climat. En effet, les histoires pour enfants francophones tournent souvent autour des quatre saisons. Nous voilà à conter la neige, l’automne, le printemps, à nos touts petits. Alors quand l’auteure de livre jeunesse Julie Dupré nous livre un petit album sur les mois qui passent rythmés par l’igname, quel bon- heur ! Car sur le Caillou aussi, les saisons existent, et chaque mois peut-être marqué par un évènement de la nature, de traditions kanak, de symboles, de vie des animaux. Ainsi, “ En juin, laboure ton champ d’ignames avec soin. La baleine entre dans le lagon, il faut préparer les billons .” Ou encore : “ En avril, les cerfs ont les cornes molles. Si tu as été habile, tu auras une belle récolte .” Le tout accompagné de douces et ravissantes illustrations entre dessins, collages, photos… La parole manque Mutisme de Titaua Peu chez Au vent des îles L’éditeur Au vent des îles réédite Mutisme, pre- mier roman de Titaua Peu parut en 2003. Un roman à l’écriture sim- ple, saccadée, quasi parlée. Contradictoire pour une œuvre qui évoque les non-dits. La perte de l’oralité d’un peuple colonisé. Les silences de la violence familiale. Les mensong- es des politiques locaux. L’aphasie de la France concernant les essais nucléaires. « Mutismes. Le tahitien, c’est pas un grand bavard. Peines perdues, vaines tentatives, je n’irai pas plus loin que les diatribes des autres, MH QH OXL IHUDL SDV R΍HQVH -H G«FHYUDLV VDQV GRXWH j’irais pas plus loin, je l’aime trop pour ça. » Écrit Titaua Peu dans un chapitre où elle tente de décrire son île, sans parvenir à trouver les mots. Mutisme, c’est donc l’absence de mots, mais c’est aussi Mu, ce mot tahitien qui décrit le silence d’une personne qui aurait quelque chose à dire mais qui se tait. Avec son discours limpide, incisif, Titaua Peu ra- conte l’enfance d’une jeune polynésienne née en Nouvelle-Calédonie, et retournant à Tahiti alors encore bébé. Elle vit dans la pauvreté et la violence, découvre lentement mais très efficacement les inégalités, le racisme. Puis l’activisme aux côtés de son mentor, de son amour, Rori, de 20 ans son aîné. Des destins peu communs Yesterday, d’Arslan Cherr chez Edilivre Déjà signataire de deux romans, la Route du Bayou et Pegasus Point, l’écrivain calédonien Arslan Cherr s’attaque cette fois au format de la nouvelle. Cela sans quitter son domaine de prédilection : les trajec- toires humaines singulières sur fond d’évènements historiques majeurs ou, du moins, de périodes WUªV VS«FLȴTXHV GH Oȇ+LVWRLUH HQ J«Q«UDO FRQWHP - poraine, mais pas toujours, l’une de ses nouvelles nous entraînant même jusqu’en Asie au temps des grands voyageurs vénitiens). Ex-formateur dans l’aviation civile et militaire, l’auteur s’appuie sur ses nombreux voyages, sur ses expériences vécues et sur ses recherches GRFXPHQWDLUHV DȴQ GH planter des toiles de fond véridiques aux aventures fictives de ses personnages. On suit ainsi le parcours d’un jeune noir du Sud des Etats-Unis appelé à devenir juriste, des an- nées 60 marquées par le racisme, la violence et l’injustice jusqu’en l’Europe à l’époque de la chute du Mur de Ber- lin, où il est envoyé en mission par le gouvernement américain. La nouvelle la plus marquante, Adijian, le violon, nous entraîne jusqu’à Sarajevo pendant le siège terrible de la ville par les forces Serbes, et raconte le lien d’estime et GȇD΍HFWLRQ «PRXYDQW TXL VH QRXH HQWUH XQ UHSRUWHU et une jeune musicienne. D’un bout à l’autre du re- cueil, l’auteur fait preuve d’une exigence stylistique inspirée par ses modèles littéraires, principalement anglo-saxons, tels Margaret Mitchell, Steinbeck ou Dennis Lehane. L’amour n’est rien sans l’autre L’amour révélé d’Alexandre Rosada chez Écrire en Océanie L’Autre est au cœur de ces trois nouvelles d’Alexandre Rosada, réunies sous le titre L’Amour Révélé. Le premier texte, Caléd’homophobies, est une histoire d’amour. Deux jeunes hommes s’aiment en cachette, dans un milieu caldoche et métissé de chas- seurs traditionalistes, où l’ho- mosexualité n’a pas sa place. Deux jeunes hommes qui ten- tent d’être autres aux yeux des autres. L’Autre, l’amou- reux. Celui qui n’assume pas son amour. Celui qui subit le regard des autres. Au point de commettre l’irréparable. L’Autre, qui veut imposer son rythme, sa vision, au point de « désintégrer » son prochain. Dans la seconde nouvelle, L’autre, ce nouvel horizon, l’auteur signe un essai philosophique sur l’altérité. Sa douceur, son essentialité, sa dureté. Puis vient la Lettre d’amour à un ami calédonien. Une histoire si normale qu’elle résonne de tristesse. Car tout humain, un jour, a vécu la douleur de la séparation, le chagrin d’amour, le coup de couteau porté par l’autre. Cet être si aimé. Ponctuée de référenc- es bibliques et mythologiques, cette belle lettre éperdument amoureuse, terriblement haineuse, est encore une fois une ode à cet autre qui nous accompagne durant toute notre vie. « Le couple est une ciguë nécessaire pour devenir cette belle unité en complémentarité », écrit Alexandre Rosada. Car sans l’Autre, point d’amour. LITTÉRATURE DU PACIFIQUE ZOOM Antoine Pecquet Page 8 - Le Gratuit Nord - N l 673 - Du 25 juin au 1er juillet 2021

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