Le Gratuit Nord 667

« On va peut-être se lanc- er dans la production de nénuphars et de gre- nouilles… » Les bottes en- foncées dans la boue, Méryl Cugola « rit jaune ». Depuis janvier, les parcelles de ce maraîcher sont sans cesse détrempées. Les pluies di- luviennes qui s’abattent sur le pays ne lui laissent aucun répit. Et ses récoltes sont de- venues presque inexistantes. Alors qu’il est censé produire 25 à 30 tonnes de légumes en début d’année, cet agricul- teur de Pocquereux, à La Foa, n’en a même pas ramassé une tonne en quatre mois. « Depuis Noël, c’est la gadoue. On a tout perdu. Les cucurbi- tacées aiment l’eau, mais pas un tel excès d’eau, raconte ce maraîcher de 37 ans. On a déjà connu de fortes précipi- tations, mais jamais autant et de façon aussi continue. C’est vraiment exceptionnel. Per- sonne ne s’attendait à ça. On vit dans un stress constant, à la fois physique, mental et économique. » Méryl Cugola est désormais suspendu aux prévisions météo. Et redoute chaque nouvel épisode pluvieux qui risque de mettre à mal tous VHV H΍RUWV SRXU WHQWHU GH UH - lancer ses cultures. « Est-ce qu’il va y avoir des maladies qui se développent avec l’hu- midité et la chaleur ? Est-ce que les plants vont pourrir ? Quand les sols sont trop gorgés d’eau, les racines sont asphyxiées. Si c’est le cas, pourra-t-on repiquer après ? » Autant de questions qui se bousculent dans la tête de cet agriculteur. « C’est dur » Pour autant, le producteur ne s’avoue pas vaincu. Et a remis en terre courgettes, choux et brocolis. Mais les résultats sont encore loin d’être satisfaisants. « Quand cela pousse, la croissance de la plante est très ralentie par ces conditions. Par exemple, les rendements de ma nou- velle récolte de courgettes ont été presque divisés par trois par rapport à d’habitude. » Pas de quoi se remettre à flot financièrement. « C’est dur, confie le propriétaire de cette exploitation qui compte deux employés. On espère que ça ne va pas du- rer. La terre, c’est notre seule source de revenus. Or on a des salaires à verser et des prêts à rembourser. Et ce, sans entrée d’argent. Mais dans ce métier, on est obligés d’être optimistes. Tôt ou tard, ça va repartir. » À quelques encablures de là, aux abords de la ferme-auberge Pierrat, l’humeur n’est guère meil- leure chez Jean-Michel De- lathière. Ce producteur d’ ignames et de taros est contraint de réduire son équipe à deux saisonniers, contre huit ha- bituellement, tant l’eau a fait des ravages sur ses cultures vivrières. (Q W«PRLJQH XQ FKL΍UH GDQV cette vallée verdoyante, il est déjà tombé 1 500 mm de pluie depuis janvier, alors que l a moyenne annu - el le osci l le normalement entre 800 et 1 200 mm. « Je n’ai jamais vu ça. Je suis complètement bloqué dans mon travail. Impossible de passer en tracteur, je m’em- bourbe », raconte l’agricul- teur qui « n’a aucun espoir » pour cette année. « Quand on déterre les ignames, soit elles sont plus petites que d’habi- tude, soit elles sont inexistan- tes, soit elles sont pourries. Sur une ligne, il y a toute une moitié où on ne récolte rien . » « Cacher la misère » En moyenne, Jean-Michel De- lathière peut récolter entre 15 et 20 tonnes d’ignames. Cette année, il estime qu’il ne ramassera qu’un quart de la production escomptée. « On a déjà sorti 6 000 igna- mes, ce qui devrait représent- er 7 tonnes de produits, sauf que là on n’a fait que 2 tonnes , poursuit-il. Ça s’ap- pelle cacher la misère. Mon seul horizon, c’est de limiter la casse en payant mes traites et les employés. Mais je ne me dégagerai pas de salaire. » Un manque à gagner dont les conséquences se feront sentir bien au-delà de La Foa. Alors que l’agriculteur envoie généralement 8 tonnes de semences d’ignames sur les îles, il pense ne pouvoir en proposer, cette année, que deux tonnes « maximum ». Les fortes pluies qui ne cessent de s’abattre sur le pays depuis janvier ont de lourdes conséquences sur l’agriculture. Champs détrempés et impraticables, produits pourris, développement de maladies… Dans bon nombre d’exploitations, les récoltes sont en chute libre, voire inexistantes. Reportage à La Foa. SALE TEMPS Cette année, la plupart des ignames que Jean-Michel Delathière peut sauver ne sont pas plus grosses qu’une patate douce. Depuis janvier, Méryl Cugola tente de travailler dans la boue. pour les agriculteurs Anthony Tejero ACTUS © Photo Anthony Tejero © Photo Anthony Tejero Page 6 - Le Gratuit Nord - N l 667 - Du 14 au 20 mai 2021

RkJQdWJsaXNoZXIy MjE1NDI=