Le Gratuit Nord 665

S ur les hauteurs du Vallon-Dore, au cœur d’une ancienne chapelle cachée par la végétation, Em- manuelle Deladrière fait des miracles. Depuis plus de trente ans, les vieux ouvrages abîmés renaissent sous ses doigts de fée. “ L’intérêt de la reliure est de conserver les livres ”, ex- plique-t-elle en sortant de sa bibliothèque quelques docu- ments poussiéreux qui vont ELHQW¶W SURȴWHU GH VRQ VDYRLU faire. Avec ses nombreux outils de relieur, Emmanuelle Deladrière peut offrir une dernière chance aux ouvrag- es d’être lus encore quelques fois. “ Une fois reliés, les docu- ments ne s’abîmeront plus. Je vais refaire la couverture de celui-là et il sera encore utilisable pendant dix ans ”, montre-t-elle pleine d’espoir. L’art de la reliure a été une évidence pour elle. Son père, initié par l’un de ses amis, a découvert ce métier très tard et lui a transmis sa passion. À sa mort, elle a récupéré ses outils et pris la relève sans se poser de questions. “ J’ai ap- pris par transmission. J’ai fait des stages. Je continue d’ap- prendre encore aujourd’hui ”, FRQȴH W HOOH Pour donner un second souffle à ces vieux ouvrag- es, le relieur doit suivre plu- sieurs étapes. Il doit d’abord débrocher le livre. “ On le réduit en cahier ”, précise-t- elle. Il faut ensuite le nettoyer, le réparer, le mettre en presse et le préparer à être cousu. Le relieur trace des repères VXU OH GRV GX OLYUH HW H΍HFWXH des encoches où viendront VH ORJHU OHV ȴFHOOHV Ȋ C’est le grecquage ”, ajoute-t-elle. Le cahier est ensuite cousu puis arrondi à l’aide d’un marteau spécial. “ Rien qu’au bruit je sais si c’est bien fait ”, sourit Emmanuelle Deladrière en- tre deux coups de marteau. Elle va se consacrer ensuite à la couverture. Un travail minutieux qui demande de la patience, mais surtout, du talent. “ C’est un métier pas- sionnant ”, assure-t-elle. Lor- squ’Emmanuelle Deladrière est en opération de sauvetage de livres, elle fait toujours des découvertes magiques. “ On m’a apporté Les Fables de La Fontaine. C’était très beau. J’ai restauré toutes les pages. Je Qȇ«WDLV SDV SUHVV«H GH OH ȴQLU car tant que je le travaille, il est à moi ”, sourit-elle. Conserver les richesses du passé C’est avec beaucoup d’émo- t ion qu’Emmanuel le De- ladrière a également eu entre les mains des témoignages de bagnards. “ Vous pleurez en lisant ces documents ”. Il lui paraît alors évident et indis- pensable de tout faire pour garder une trace de ce passé. Malheureusement, l’humi- dité et les termites précipitent souvent leur désintégration. “ C’est un crève-cœur de voir ça. Si on veut les garder, il faut les entretenir ”. Mais pas n’importe comment. Le ruban adhésif est le pire ennemi d’Emmanuelle Deladrière. “ Je ne peux pas restaurer un document s’il y a du scotch. Le papier a été mangé, il devient cassant”. Elle peut tout arr anger dans la limite de ses possibilités. Grâce à son savoir-faire et à ce métier d’art hors du com- mun, Emmanuelle Deladrière fait en sorte que les docu- ments uniques ne tombent jamais dans l’oubli. Depuis plus de trente ans, Emmanuelle Deladrière utilise un savoir-faire unique au monde pour redonner un second souffle aux ouvrages abîmés qui méritent encore d’être feuilletés. SAUVER LES LIVRES des ravages du temps Edwige Blanchon ZOOM © Photos Edwige Blanchon Dans son atelier au Vallon-Dore, Emmanuelle Deladrière pratique l’art de la reliure depuis 1987. Elle redonne vie aux anciens livres pour les conserver encore plusieurs années. De véritables œuvres d’art /H P«WLHU GH UHOLHXU VH IDLW GH SOXV HQ SOXV UDUH $X ȴO GHV siècles, le monde du livre a connu de nombreuses révolu- tions dont la dernière en date est la liseuse. Et malgré son amour pour les beaux livres, Emmanuelle Deladrière est la première à l’utiliser. « On peut aimer les livres et la lecture HW OLUH VXU WDEOHWWH ΖO IDXW GL΍«UHQFLHU OH OLYUH REMHW HW OH OLYUH pour lire », fait-elle remarquer. Les beaux ouvrages sortent finalement rarement de la bibliothèque. Par peur de les abîmer, on préfère les garder rangés et les sortir unique- ment à certaines occasions. Avec le concours des Biennales mondiales de la reliure d’Art, Emmanuelle Deladrière conçoit tous les deux ans ce genre de livres d’exception. « On nous envoie un livre et on fait ce qu’on veut avec », explique-t-elle. En plus du traditionnel cuir, Emmanuelle Deladrière a déjà utilisé du cuir de saumon, des fougères arborescentes, des ȴEUHV GH FRFRȐ 6RQ LPDJLQDWLRQ QȇD SDV GH OLPLWH SRXU FHV ouvrages qui deviennent de vraies œuvres d’art. Le Gratuit Nord - N l 665 - Du 30 avril au 6 mai 2021 - Page 11

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