Le Gratuit Nord 638

E n proposant, à trois jours de la consultation, de limiter le droit d’achat et de vente des biens immo- biliers anciens des Français n’ayant pas la citoyenneté ca- lédonienne, le président du groupe Pierre Chanel Téin Tutugoro a fait réagir bien au-delà de sa base militante. Et une question se pose : le dépôt de cette proposition relève-t-il davantage d’une manœuvre politique ou da- vantage d’une stratégie éco- nomique ? Les agents immo- biliers interrogés sont en tout cas vent debout contre l’idée d’interdire aux Français qui n’ont pas la citoyenneté ca- lédonienne et aux étrangers d’acheter des biens anciens ou de les vendre à d’autres non-citoyens, s’ils sont déjà propriétaires. « On l’a pris en pleine figure », confie Divy Bartra. Le gérant de l’Agence générale, qui assure « ne ja- mais avoir entendu une pro- position aussi grotesque », se dit « estomaqué » car elle « s’attaque directement au marché sur lequel on exerce » et qu’elle relève d’« une vo- lonté d’exclusion d’une partie des résidents permanents ». L’exposé des motifs de la proposition en dévoile un peu plus sur le constat des indépendantistes. « Les prix des logements ne cessent de monter et une inquiétude de plus en plus palpable se fait jour [...] Les familles se sentent exclues du droit au logement } «FULYHQW LOV DɝU - mant qu’il existe « une bulle spéculative ». Le marché im- PRELOLHU HQ VXUFKDX΍H YUDL - ment ? « Absolument pas, ni sur le neuf, ni sur l’ancien. Un Australien qui vient investir 100 millions dans l’immobilier local pour se faire de l’argent, cela n’existe pas », décrypte Frédéric Chatelin, responsable de l’agence Jack Chatelin. Si elle venait à être appliquée, poursuit Divy Bartra, cette loi aurait « des conséquences né- gatives en cascade ». « Parce qu’obliger des résidents permanents à acheter uni- quement du neuf - ce qu’ils ne feraient pas puisqu’ils ne pourraient le vendre qu’à des citoyens calédoniens - cela re- vient à pénaliser le secteur BTP et bien plus… », juge le vice-président de la Fédéra- tion territoriale des agents immobiliers. Silvio Pontoni. « C’est un signal qui ne va pas pour la relance de l’activité qui vit une crise grave , regrette le patron de la Fédération du BTP. On étudie actuellement quelles seraient les réper- cussions mais cela limiterait le nombre de futurs acqué- reurs alors même que nous avons besoin de gens qui investissent. » Pour prôner la « protection dans l’achat du foncier et des résidences sur le marché secondaire », les responsables de l’Union calédonienne (UC) s’appuient sur la loi organique. Si celle- ci réserve à la qualité de ci- toyen calédonien le droit de vote aux provinciales et l’ac- cès à l’emploi local, le droit de propriété en est totalement exclu. Limiter l’accession à la pro- priété aux Français non-ci- toyens calédoniens serait-il constitutionnel ? À entendre Caroline Gravelat, maître de conférences assoc i é en droit public, « ce n’est pas conforme à l’accord de Nouméa. C’est une rupture d’égalité entre les citoyens français ! ». « La rareté fait le tarif » La professeure au labo- ratoire de recherches ju- ridiques et économiques estime qu’« il n’y a aucune sécurité juridique autour de ce texte » et que, si d’aven- ture il devait être voté par le Congrès, « il encourt la cen- sure du Conseil constitution- nel ». Cette loi pourrait-elle, comme le prétendent ses au- teurs, permettre aux jeunes d’« accéder au foncier, aux maisons et aux logements sans s’exiler de la ville-centre » ? « Des mesures existent FRPPH OHV DYDQWDJHV ȴVFDX[ accordés aux primo-accé- dants, les prêts à taux zéro… La SIC et le FSH font des faci- lités d’accès. S’ils ne peuvent pas acheter de maisons à Nouméa, c’est parce qu’il n’y a plus de terrain ou que celles sont à des prix trop élevés. La rareté fait le tarif, cela existe partout », analyse Frédéric Chatelin. Outre les conséquences sur le marché de l’immobilier, la loi serait un manque à ga- gner considérable pour le WHUULWRLUH 6RXV OȇH΍HW GH OȇHI - fondrement des transactions, « on constaterait une chute des droits d’enregistrement et de taxes diverses qui s’élèvent à plus de 9 %. Il s’agit de di- zaines de milliards de francs et c’est autant d’argent qui ne serait pas versé dans les caisses », informe le notaire Me Philippe Bernigaud. Si cette proposition de loi ar- rive jusqu’en séance publique au Congrès, les débats pro- mettent d’être explosifs. En déposant une proposition de loi du pays au Congrès réservant l’achat de biens anciens aux citoyens calédoniens, le groupe UC-FLNKS a provoqué un séisme parmi les acteurs du marché qui évoquent « des conséquences négatives en cascade ». Immobilier Le pays, assure Divy Bartra, « ne connaît pas d’investissement immobilier dans l’ancien réalisé par des QRQ U«VLGHQWV } TXL DXUDLW SRXU FRQV«TXHQFH m XQ H΍HW VXU OHV SUL[ » puisque « notre territoire n’est pas un marché immobilier attractif pour la clientèle internationale ». PRÉFÉRENCE LOCALE, « rupture d’égalité » © Thierry Perron Page 14 - Le Gratuit Nord - N l 638 - Du 16 au 22 octobre 2020

RkJQdWJsaXNoZXIy MjE1NDI=